Les Chemins de Traverse
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Je l'ai prise entre mes mains et j'ai pleuré

Chemin de création

14 octobre 2022

Je l'ai prise entre mes mains et j'ai pleuré

MAN-Isturitz-1

Un texte inspiré à Barbara Minder au lendemain d'une visite avec Charlotte Schneider chez Catherine Schwab, conservatrice en chef du patrimoine des Collections du Paléolithique et du Mésolithique au Musée d'archéologie nationale à St-Germain-en-Laye (F), dans le cadre de la Résidence Latenium 2022 - Le plus vieux métier du monde.

"En soi, ce n'est qu'un bout d'os avec quelque trous. Bon, il semblerait que c'est un os de vautour. Ça rend déjà moins banal, ça.

À force, l'os s'est minéralisé, fossilisé. Plus de 25'000 ans, ça laisse le temps pour ça. Largement.

Trouvée à Isturitz il y a 100 ans - quelle broutille! - cette flûte est conservée au Musée d'archéologie nationale de France. Dans un bac en plastique, elle repose avec ses consœurs. L'une d'entre elles est encore plus vieille, 5 à 10'000 ans de plus au compteur. Certaines sont mieux emballées que d'autres. En cas d'urgence, les pompiers ont reçu des ordres: deux de ces flûtes doivent être sauvées.

Cette flûte est plus longue que les autres. On voit qu'elle est faite de deux pièces, trouvées indépendamment dans des fouilles. Remises ensemble par un œil acéré. Comme l’œil du rapace qu'elle a constitué.

Nous étions 3 bernoises gauchères réunies autour de ces flûtes. Deux flûtistes et une archéologue, spécialiste du paléolithique et mésolithique. Le quotidien de l'une, l'exception des autres.

J'avais déjà tenu des flûtes historiques dans mes mains. Il y a 30 ans, j'ai soufflé dans une flûte baroque en ivoire ayant, semblerait-il, joué dans l'orchestre de Haendel. Pff, Haendel, quel petit jeunot. Il y a quelques jours, j'ai soufflé dans une flûte en os romaine. J'avais déjà l'impression de prendre mes bottes temporelles de sept lieues.

Petite joueuse! Là c'est plus de 25'000 ans. Plus de 25'000 ans, oui!

Alors, quand j'ai pu prendre cette flûte, si fragile, si précieuse, entre mes mains, j'ai senti mes larmes monter. Et quand j'ai posé mes doigt sur ses quatre trous, là, elles ont coulé. Mes doigts se sont si facilement posés là où, tant d'années avant, d'autres l'avaient fait. Pour exprimer avec leur souffle leurs émotions.

Et avec mes doigts si bien lovés sur cette empreinte du temps, je me suis demandée quelles étaient ces émotions que mes lointains collègues avaient envie d'exprimer." Barbara Minder, Paris 14.10.2022